Chaperon vert contre autoroute du Sud

La cité du Chaperon vert, situé sur le coteau ouest de la vallée de la Bièvre a été construite sur un terrain intercommunal des villes d’Arcueil et de Gentilly qui est resté quasiment vierge jusqu’à la fin des années cinquante, date du début de la construction de la cité.
L’appellation Chaperon vert est tellement ancienne que l’on ne connaît plus aujourd’hui avec certitude sa signification d’origine. En fait, le site portait initialement le nom de Hautes bornes indiquant l’existence de rochers mégalithiques.

Le site avant la construction de l'autoroute




















 
 La cité du Chaperon vert est à sa construction un ensemble de treize hectares bâti en brique rouge qui frappe le regard par l’alignement massif de ses trois barres de dix étages orienté nord-sud.
L’existence de la cité n’est pas sans rapport avec la construction de l’autoroute du sud qui la traverse. Effectivement, le terrain dit du Chaperon vert aurait pu être affecté à un projet d’extension de la cité universitaire soumis à l’état en 1945. Mais les villes d’Arcueil et Gentilly ont obtenu en réparation du dommage causé par le tracé de l’autoroute sur leurs territoires, que l’état se prononce en faveur d’un projet d’habitat social proposé par ces dernières.

Après plusieurs propositions, le plan de masse de la cité actuelle sera approuvé par le ministère au début de l’année 1953. Le chantier de construction débutera en 1956 et les premiers locataires emménageront en 1959.
Le style architectural de la cité ne diffère pas réellement des autres ensembles construits à la fin des années cinquante dans la banlieue des grandes villes française.
Ces cités se caractérisent par une conception architecturale qui les enferme délibérément sur elles-mêmes, sans chercher à les intégrer au reste de la ville. La brique rouge et l’ossature en béton donne un style monotone et très standardisé d’habitation. 
La distribution des bâtiments dégage des espaces centraux engazonnés et plantés d’arbres. Ils sont utilisés comme aires de jeux à l’exception de la place du marché qui constitue le secteur commerçant de la cité. Le Chaperon vert compte 1600 logements, allant du studio aux cinq pièces et est le plus grand ensemble bâti de la vallée de la Bièvre.

La cité, qui par le passé fut le symbole d’un grand progrès face l’insalubrité d’îlots comme la Villa Mélanie, n’est pas loin d’être considérée aujourd’hui comme le quartier le plus difficile des deux villes. Le projet de réhabilitation mis en œuvre par les deux communes et le bailleur a pour objectif de permettre son renouveau et de favoriser son ouverture sur le reste de la ville. Ces grands ensembles construits à la fin des années 50, ont vu leur contexte social se dégrader inexorablement dès le milieu des années 70. Aujourd’hui, se voir attribuer un logement au Chaperon vert n’est plus un motif de satisfaction. Pourtant, au début des années 60, les maires d’Arcueil et Gentilly et plusieurs membres de leurs conseils, habitaient dans les barres du Chaperon vert. J’ai grandi dans l’une de ces barres, longue falaise orienté au levant, et mon enfance troglodyte a été plutôt joyeuse. J'en témoigne, les habitants de la cité ont commencé à changer d'état d'esprit concernant leur lieu de vie, à partir du moment où ce style d'habitat banlieusard a été dénigré de manière globale par voie média.







L’usine des Hautes Bornes

Carrière des Hautes Bornes
Le lieu-dit des Hautes Bornes évoque selon le Laboratoire départemental d’Archéologie, un mégalithe ou une borne antique. Ce nom désigne une zone comprise approximativement entre l'avenue Lénine, la ligne RER et le Chaperon vert. Elle s’étend des deux côtés de l’avenue Jean Jaurès, ancienne « route Stratégique du fort de Montrouge », jusqu’au « pont des Hannetons » (actuel pont au-dessus de l’A6). Fernand Bournon, dans l’Etat des communes à la fin du XIXe siècle, décrit les Hautes Bornes comme formant une « agglomération à peu près distincte d’Arcueil », c’est à dire du vieux centre entourant l’église et l’ancienne mairie. En fait, son développement se fait principalement le long de l’avenue Laplace, entre l’actuelle mairie et la Vache noire. Des carrières se trouvent jusqu’au 19ème siècle entre l'avenue Jeanne d’Arc et la rue Ernest Renan. La poussière blanche qu'elles dégagent (une rue proche du pont des Hannetons sera appelée rue Blanche) et le passage incessant des chariots de pierre rythment la vie du quartier. Comme un peu partout dans la ville, elles sont converties en champignonnières dans les années suivant la guerre de 1870.

L'usine des Hautes Bornes























L'usine des Hautes-Bornes de la Compagnie Lesage s'installe dans la commune d'Arcueil à proximité d'un dépotoir créé en 1852, située chemin des prêtres, l’actuelle avenue V.I Lénine. L'usine et le dépotoir occupaient un emplacement qui correspond aujourd'hui à celui de la cité du Chaperon vert.  La Compagnie Lesage s'installe en ces lieux à la faveur d'une autorisation accordée (en dépit de l'avis défavorable du préfet de police) à titre dérogatoire par le Conseil d'État. Elle fabrique du sulfate d'ammoniaque à partir de vidanges de Paris par dessiccation à froid (déshydratation des déjections) ce qui incommode les proches voisins, puis par traitement à chaud. En 1879, quand l'appareillage de l'usine est augmenté, la Préfecture de police voit dans ces extensions une nouvelle dérogation aux conditions de l'autorisation et s'y oppose. Le Conseil d'État, dont plusieurs membres sont actionnaires de l'usine, déboute la Préfecture et ratifie les modifications apportées.
Plusieurs plaintes, pétitions émanant de médecins, de riverains, de voyageurs écœurés lors de leur trajet sur la ligne de Sceaux par les émanations putrides se faisant sentir lors du passage des trains, ou encore par les ouvriers du curage des égouts déplorant l'infection des liquides non traités provenant de l'usine, sont relayées par les conseillers municipaux de la ville et des communes voisines. Le maire d'Arcueil-Cachan, Émile Raspail, combat pendant dix années l'usine et finit par démissionner arguant le régime de faveur dont bénéficie à la Compagnie Lesage. Après une fermeture de quatre ans vers 1881, elle ré-ouvre, avant que son activité ne cesse définitivement en 1892.
 
Plus de 7 300 établissements industriels soumis à autorisation ou déclaration sont recensés dans le département de la Seine à la fin du XIXème siècle. Sur le territoire de l’actuel Val-de-Marne, seules les communes de Gentilly, d’Arcueil-Cachan et d’Ivry-sur-Seine accueillent plus de 100 établissements classés. Les émanations incommodes produites par ce nouveau paysage industriel n’en finissent pas de mécontenter la population qui multiplient les plaintes et protestations. En 1880, année où l’on remarque un important pic de pollution dans le département de la Seine, le préfet de police va créer plusieurs commissions spéciales chargées d’inventorier et de classer les principaux foyers d’émanations infectieuses. Parmi les plus de 300 usines de vidanges comptabilisées à l’Est de Paris, certaines sont localisées dans le Val-de-Marne. Parmi elles, on retient surtout l’usine des Hautes-Bornes à Arcueil, reconnue comme l’un trois sites les plus pollués du département de la Seine. 

Les excrétas de Paris traités dans l'usine de sulfate des Hautes Bornes étaient utilisés dans l’agriculture comme engrais. La question des odeurs infectes émises par l’usine était un sujet bien connu des riverains. Le problème fut soulevé par le conseiller général de la Seine Benjamin Raspail et par le maire d’Arcueil-Cachan et conseiller général Émile Raspail, notamment en 1880, année d’une canicule, où dégoûtée par les odeurs, nauséabondes, putrides, écœurantes, ignobles, insupportables, abjectes et répugnantes, l’opinion publique, la presse et les politiques s’indignèrent du maintien d'une telle pollution industrielle. Les émanations de l'usine des Hautes Bornes à Arcueil vont faire l'objet de plaintes répétées des maires d'Arcueil-Cachan, Gentilly, Montrouge et du XIVe arrondissement de Paris. En novembre 1892, le conseil municipal de Montrouge votait la relégation du dépotoir des Hautes Bornes et demandait la fermeture de l’usine. La même année, deux cas de choléra étaient apparus à proximité, dans une famille dont le père travaillait à l'usine des Hautes Bornes. Sans la surveillance exercée par la municipalité et le service d’hygiène d’Arcueil présidé par le Dr Durand, une épidémie aurait pu être à déplorer.

L'usine vue du ciel
Concrètement, les matières de vidange amenées par conduites souterraines du dépotoir à l’usine, étaient traitées par la chaux, les eaux qui en résultaient, débarrassées des matières organiques, étaient déversées par un égout latéral à la Bièvre dans la Seine. Une surveillance de la qualité des eaux était exercée par la Préfecture de police. En 1884, les contraventions étaient nombreuses, mais à partir d’avril 1890, elles tombèrent à zéro (selon le secrétaire de la préfecture de M. Lépine).
L'engrais était préparé à partir des produits de vidanges, urines et excréments recueillis dans les fosses d'aisances de Paris et transporté à l'usine. Ces fosses furent d’abord de simples trous creusés dans les cours des immeubles, puis dans des constructions maçonnées. Stockées plus ou moins longtemps, elles étaient enlevées par des compagnies privées ou même par les cultivateurs eux-mêmes. À l'usine, les matières putrides étaient déversées dans de grands bassins où elles formaient, en raison de leur densité relative, trois couches. La première à la surface donnait une mousse que l'on laissait sécher. La couche intermédiaire, liquide, s'écoulait dans une suite de bassins. Se déposait alors par décantation, un produit qui, traité, fournissait le sulfate d'ammoniaque. La couche inférieure solide, séchée au soleil, donnait l'engrais dit « poudrette ».

L'usine des Hautes Bornes avec au premier plan la Villa Mélanie














Les odeurs émises par l’usine des Hautes bornes d’Arcueil étaient tristement célèbre, et pour cause, elles pouvaient répandre ses nuisances jusqu’au jardin du Luxembourg, alors imaginez une seconde ce qu’il en était pour les habitants de l’avenue Jean Jaures ou de l’avenue Laplace.

Au moment de la construction de la citée du Chaperon Vert, l’usine des Hautes Bornes n’était évidemment plus en activité, mais ses bâtiments étaient encore debout. L'usine jouxtait la Villa Mélanie, l’un des derniers lotissements insalubres de la ville. 

Il semble qu’il n’y ait pas eu de travaux d’assainissement du terrain avant la construction de l’école et des logements.

L'usine des Hautes Bornes sur une illustration du parc Montsouris de 1869 (cliquez sur l'image)


Déambulation au pied des barres

Dans la citée, il est souvent question de la violence manifestée par la jeunesse, c’est d'ailleurs un sujet épisodiquement médiatisé au niveau national et généralement regroupées sous l’expression « violences urbaines ». Il s’agit souvent d’incidents associés au genre masculin dans sa définition la plus archaïque : territorial ; prédateur ; dans un rapport de force physique ; omnipotent dans ses désirs et dans ses choix ; un chef ; un chasseur ; un guerrier peu enclin de se conformer aux règles confuses de la société organisée.

Évidement, nous avons tous (au moins au niveau hormonal) une part masculine et une autre féminine. L’histoire humaine compte de féroces amazones et des conquérants aux mœurs efféminés.
Nos sociétés « patriarcales » tentent de maintenir l’hégémonie masculine dans un monde aux règles féminisées (en ce sens par exemple que la loi prévoie qu’un homme doit se plaindre plutôt que de riposter en cas d’agression.)
Les limites entre le féminin et le masculin peuvent être ambiguës et mènent parfois à des situations paradoxales. En chacun de nous sommeille un mammifère agressif au comportement territorial, grégaire au point de vouloir évincer l’autre de son territoire.
Une vision sexiste serait trop simpliste, pourtant se sont souvent les jeunes hommes qui se distinguent  par leurs excès dans le registre agressif.
Nous sommes tous rattachés au moins biologiquement à ce comportement dominant, notre passé en tant qu’espèce peut en témoigner. Lorsque l’homme nomade est devenu sédentaire, le chasseur néolithique s’est recyclé en guerrier antique.
La civilisation a changé la règle du jeu au cours des deux dernières minutes ! Deux ou trois mille ans de civilisations contre plus de soixante milles ans de chasse nomade.
Dès le commencement de cette sédentarisation précipité, c’est la part féminine de notre espèce qui a ouvert le chemin.
Des grottes paléolithiques aux huttes mésolithiques, les femmes ont précédé les hommes dans la gestion de l’espace familial. Qu’il s’agisse de l’artisanat ou de l’agriculture, les chasseurs n’ont suivi que contraint, lorsque le gibier a commencé à manquer.


Les jeunes déscolarisés qui s’agitent aux pieds des immeubles sont peut-être simplement des graines de chasseurs néolithiques qui n’ont pas trouvé leurs steppes.
Ces jeunes hommes évoluent dans une société où ils sont confiés aux femmes, d’abord avec la famille monoparentale, puis avec le personnel majoritairement féminin des crèches et des écoles.
Ces garçons à la recherche d’un modèle, d’une référence, ne trouvent souvent que leurs pairs pour se construire. En l’absence de rituel de passage à l’âge adulte pris en charge par les pères, l’initiation se fait de manière sauvage.
Il peut arriver que parmi un groupe d’ados, l’un d’eux plus précoce initie les autres. Alors on débouche sur le phénomène de bande, sorte de retour urbain à la vie tribale, avec évidement un dominant qui structure le groupe sur un territoire.
Pour beaucoup d’ados, il n’y a pas de monde masculin en dehors de celui de la rue, lieu d’initiation où ils ont enfin goutté à ce sentiment d’appartenance, à cette jubilation dans les moments de fortes cohésions du groupe. C’est aussi là qu’ils ont commis leurs premiers « exploits » et de là qu’ils ont ramené leurs premiers « gibiers ». A cet âge les garçons saisissent toutes les occasions qui leurs sont offertes pour se dissocier du monde féminin en affirmant leur part masculine.
Les plus chanceux fréquentent les clubs sportifs, ils acceptent l’idée d’être structuré et essayent de respecter les règles. Mais il y a aussi beaucoup d’avenirs perdus.
Cette jeunesse masculine rebelle porte une part de notre révolte, l’adolescent qui émerge dans ce monde imbriqué de contraintes, de complexités, de promiscuités, exprime finalement ce que nous avons appris à nier par nécessité.
Dans ce jeu d’élimination qui commence dès le collège et qui s’accentue avec les études secondaires, beaucoup de jeunes trébuchent, parfois même s’auto éliminent et finissent par fonctionner en marge des règles fixées par la société.
Il faudrait imaginer un rituel contemporain de passage à l’âge adulte, mais quel adulte dans quelle société ? Nos repères sont en phases de mutations accélérées. Les modèles masculins, comme les modèles féminins sont en mouvement permanent et finalement, ce qui est souvent retenu (par défaut) c’est le modèle originel, éprouvé par des milliers d’années de vie tribale. Beaucoup de jeunes ados (filles) succombent dans un premier temps au désir d’être la petite amie d’un des jeunes « chefs » en titre de leur quartier, avant de revenir à un choix plus adapté à la réalité de notre époque.

                      
Les rituels d’initiation pratiqués dans la rue sont tout à fait adaptés pour survivre dans la rue, tout comme l’initiation tribale traditionnelle est parfaite pour survivre en brousse.
Quelle initiation pourrait permettre de survivre en citoyen civilisé ? Les sociétés modernes ont bien du mal à proposer un système d’intégration viable. Certes, l’école est sensée tenir ce rôle, mais les déscolarisés de plus en plus nombreux, pointent une lacune.
Hier, l’armée fabriquait des « hommes », s’engager pouvait devenir l’ultime solution.
Aujourd’hui les héros sont plutôt du côté de ceux qui survivent en marge des règlements, les leaders sont à chercher parmi les tagueurs et non du côté des détagueurs.
Des lueurs d’espoir côté sport, les clubs sportifs sont des îlots d’où l’on peut amorcer la grande traversée et devenir un membre mature de la société. Beaucoup de jeunes ont été sauvés du gâchis grâce à ce qu’ils ont vécu au sein d’un club.
Le sport est la discipline médiatrice entre le monde des règles et celui de la savane urbaine.
Les jeunes qui prennent position aux pieds des blocs sont en fait à l’image de notre société, ils expriment à leur manière le fonctionnement en vigueur.
Ils pratiquent eux aussi le double langage, la désinformation.
Ils succombent aux objets de consommation et rêvent de réussites fulgurantes (celles où l’on débarque en limousine devant un palace.)
L’idéologie de la rue est très libérale et la solidarité y est très superficielle.
Le modèle « rue » est d’ailleurs depuis longtemps une source de récupération d’idées, les modes de demain sont repérées aujourd’hui dans la rue. Qui aurait pensé il y a vingt-cinq ans que le petit jeune vivant pénard au fin fond de sa campagne allait lui aussi finir par s’habiller hip hop et chercher désespérément un petit bout de mur à taguer.
Le mouvement hip hop a vingt-cinq ans, c’est un modèle international, avec des centaines de marques déposés, des tas de supports médias ou ceux qui ont réussi sont mis en exergue. Devenir un baron émergé de la rue, voilà une référence qui fait rêver : rap ; foot ; boxe ; cinéma etc. des domaines où chacun espère devenir le premier, mais où, comme au loto, les probabilités de réussite sont faibles.
Nos modèles « rue » locaux sont influencé par les modèles « rue » nord américains, de petits Bronx naissent un peu partout, normal ! Nous fonctionnons sur le même modèle de société depuis la fin de la deuxième guerre mondiale.
Il y a bien sûr des particularités nationales, notre pays depuis la révolution n’a pas manqué de remous rebelles et contestataires.


La France est aussi un ancien pays colonial et garde naturellement des liens avec ses anciennes colonies. La mixité culturelle qui en résulte nous rapproche beaucoup des américains.
Une particularité liée à la religion concerne l’islam qui canalise assez bien les jeunes garçons en mal de perspectives. Elle offre aussi un fond de contestation à ceux qui veulent s’opposer à la culture occidentale dans ses fondements.
L’adhésion à l’islam reste assez formelle, beaucoup de jeunes jurent sur le Coran à longueur de journée, alors qu‘ils ne l’ont pas vraiment lu. Cette religion apporte aussi l’espoir d’un retour à un patriarcat plus marqué, une revanche pour ceux qui ont bien du mal à se situer dans un monde où les rôles ne sont plus clairement définis par le sexe.
Les jeunes sont solidaires de ceux qui se marginalisent en s’opposant aux règles, c’est libérateur !

Dans les quartiers, il y a peu de permanents, quelques intermittents et beaucoup de satellites. Mais même à une comète qui ne passe que furtivement, il ne viendrait pas l’idée de remettre en cause la
« légitimité » de mauvaise conduite des permanents.
Un permanent a abandonné les études assez tôt, sans bagage, il a recours à quelques combines pour assurer ses besoins quotidiens. Il est rebelle, téméraire et pas gâté au niveau familial, il exprime la part contestataire du groupe de quartier.
L’intermittent avance dans son cursus scolaire avec difficulté, il est attiré par la rue, il envie la place des permanents, mais son environnement familial est trop attentionné et structuré pour qu’il puisse se le permettre. Les satellites sont des jeunes en général assez sérieux, bien cadré sur le rail, ils viennent respirer une bonne bouffée de rébellion de temps en temps, histoire de décompresser, puis ils repartent construire leur avenir.
Ce qui est inquiétant, c’est le glissement de leurs mœurs vers la violence.
Concernant l’usage des armes, les américains nous ont précédés, il y a comme la trame d’un mauvais film américain qui voile l’esprit de nos jeunes citadins.
Les rapports se radicalisent et les acteurs eux même le vivent comme une fatalité.
Ces jeunes en conflit, ou en rupture avec la famille, le collège, le voisinage, sont sous pression. Ils redirigent d’abord l’agressivité entre eux, s’aguerrissent, puis progressivement appliquent ce rapport à tout un chacun. Le conflit est nécessaire au maintien de la cohésion du groupe.
La violence est souvent déclenchée par des différents liés au territoire.
Les groupes de quartiers défendent le périmètre dans lequel ils se sont circonscrits et dont ils ne sortent qu’assez peu. L’alliance territoriale prévaut sur les liens d’origines ou de cultures. La violence fait partie des passages obligés pour être reconnu et admis des autres (rituel d’initiation oblige). Des générations se suivent, se passent le relais et ça n’a pas commencé hier.
Dans l’état actuel du terrain, ceux qui veulent s’attaquer au problème ne peuvent espérer obtenir des résultats probants rapidement.
Pourtant, quand on a vu évoluer un quartier suffisamment longtemps, on se dit que si les difficultés étaient repérées de manière précoce, il y aurait beaucoup moins de jeunes échoués dans les quartiers.
Mais aujourd’hui, il semble qu’il y ait trop de jeunes en difficulté pour que les moyens mis à disposition suffisent. Alors le climat de la rue se durcie, ici comme dans les autres cités.
A notre époque les phénomènes de jeunesse ne peuvent plus être envisagés sur le plan local ou national, ils sont mondiaux comme l’économie est mondiale. Partout où il y a des jeunes en situation précaire évoluant en milieu urbain.  
Nos sociétés ne se donnent pas suffisamment les moyens, pour résoudre le problème de manière préventive. Mais à l’arrivée, cela finit par coûter beaucoup plus cher. Violence dans la rue, à l’école, dans le sport, dans les transports, ce thème devenu récurrent dans l’actualité a fait apparaître du même coup de nombreux experts ; conseillers ; spécialistes ; dans l’arène lucrative du marché de la sécurité. De nos jours on sécurise et on surveille partout : alarmes ; caméras ; digicodes ; vigiles ; etc. l’entrée libre appartient à un autre temps et cela a un coût.


À la dimension d’une ville, que serait-il possible d’envisager pour se prémunir d’un climat violent dans les quartiers ?
Concernant les points névralgiques qui ne sont pas réellement plus nombreux ou plus violents que dans les cités voisines, ils constituent la priorité sur laquelle la société ne sait plus avancer. La cité n’existe pas hors contexte et partage le climat général.
Ici, comme ailleurs, on est bloqué face à l’attitude de certains jeunes.
Ces derniers bousculent les règles d’une société où ils sont en échec et prétendent réussir selon leurs propres critères, la violence est un trait spécifique de cette forme de « culture » de rue, l’emploi de la force physique est positivée, elle devient même pour certains un mode de relation.
Dans la rue tout est mis en scène, rien n’est intériorisé. La réalisation d’un acte dangereux devient le moyen de se valoriser, de renforcer un amour propre constamment menacé et de se durcir en bannissant sensibilité et faiblesse. La violence peut alors devenir une carapace pour l’ado en difficulté. C’est une manière de forcer son existence au monde, avec la découverte du plaisir de se sentir « dangereux » donc pour une fois dominant et fort.
Beaucoup de jeunes violents ont des difficultés relationnelles et communiquent mal. Ceux qui pratiquent avec succès une activité sportive ou culturelle sont généralement moins sujets à des excès de violences.
A l’opposé, les problèmes d’estime de soi, le sentiment d’être méprisé ou rejeté décuple la tendance aux comportements violents de manière spectaculaire. De tels sentiments se développent lorsque les aspirations des individus ne s’accompagnent pas d’une amélioration comparable de leurs conditions de vie.
Or, les jeunes sont beaucoup plus réceptifs au discours incitant à la réussite individuelle diffusé par les médias, qu’aux discours humaniste et solidaire assez peu présent dans les mêmes médias. Cette culture médiatique du vainqueur (stars de ceci ou champion de cela) génère des attentes démesurées et engendre du même coup un surcroît de frustration.
De plus, les médias et la pub ciblent un public de plus en plus jeune, chaque nouvelle génération se montre un peu plus précoce en matière de consommation. Dans le même temps, l’évolution de la société fait que les jeunes ont besoin de pousser leurs études plus longtemps pour trouver un job et devenir d’autonomes consommateurs. Résultat, la jeunesse dépend plus longtemps de la famille (et de son niveau économique) et cela malgré l’omniprésente incitation à consommer.

Ce qui est frappant, c’est l'absence de conscience politique de ces jeunes agissant collectivement, on parle d’actions faiblement organisées, d’irruptions sporadiques. Il semble que cette génération n’est pas d’autres idéals que ceux proposés par la société de consommation. Le seul angle qui diffère dans leurs visions des choses c’est la façon dont-ils pensent y arriver.
La manière dont ces garçons prétendent réussir, ces chemins non recommandés qu’ils empruntent, posent un problème à la société.
Cette jeunesse retient les objectifs, mais pas la méthode réglementaire pour les atteindre, comment en serait-il autrement ? Les médias mettent en exergue la réussite et se montrent laconique concernant les efforts collectifs qui l’ont permis. Et puis, il existe une énorme vitrine appelée télévision, dont les enfants  sont largement abreuvés dès leur plus jeune âge. La télé est le bien basique de la société de consommation, elle suscite en permanence une foule de désirs qui pour leurs majorités resteront insatisfaits. Assez vite un sentiment de frustration et d’incrédulité s’installe : « ces richesses ne sont donc pas réellement accessibles ? » La majorité des médias ne cherchent pas à construire l’avenir mais plutôt à gagner des parts de marché.
Malheureusement, certaines émissions championnes de l’audience ont largement dépassé le cap de la débilité ! La télévision comme Internet sont de supers outils, s’ils sont utilisés avec discernement.
Ce qui peut également renforcer la tendance à la transgression chez les jeunes ce sont les nombreuses affaires de corruptions et de détournements de fonds publics, ainsi que les emplois fictifs et autres escroqueries commises par les élites de tous bords.
Cela tend à laisser penser que la fin justifie les moyens et que peu importent les chemins utilisés, l’essentiel est d’y arriver.  

Les groupes de quartier s’approprient une place dans l’espace public et défendent à leur manière un droit de participation à la société de consommation. Ces groupes de déscolarisés luttent contre une mort sociale qui leur pend au nez. Leurs discours expriment un sentiment d’isolement, ils se plaisent dans une théorie du complot basée sur l’hostilité présumée d’un
« eux » (la BAC, un groupe rival, etc.) envers un « nous »  (les jeunes, le groupe de quartier, ceux du neuf quatre, les déscolarisés, etc.)
Le monde de la rue développe un sentiment de hors jeu et ne se reconnaît pas dans les organisations politiques ou religieuses, seules les structures associatives arrivent à susciter (parfois) un engagement de leur part.
Il n’y a pourtant pas de fatalité, quel cheminement mène un ado à rallier le groupe déviant du quartier ?
Au-delà des apparences parfois trompeuses, il y a souvent un problème de nature familiale. Cela se traduit assez tôt par des difficultés scolaires auquel la famille n’arrive pas à remédier. Malgré le retard qui s’aggrave d’année en année, l’enfant est admis dans la classe supérieure…
Le malaise augmente à chaque passage et en général vers la cinquième l'élève est complètement noyé, alors il choisit de se faire virer car pour lui la situation n’est plus tenable. Après une ou deux tentatives de réinscription, la famille abandonne.
Alors l’ado va commencer à vivoter en planque dans un autre quartier que le sien, parfois un petit groupe d’exclus se forme et à cet âge, la petite équipe se fait jeter d’à peu près partout. Ils vont raser les murs ainsi une année ou deux, le temps de se raccorder aux plus grands et de s’initier à de petits vols ou de petits trafics.
Vers la troisième année, le métier commence à rentrer, les grands leur mènent la vie dure et ne lésinent pas sur les rituels de mise à l’épreuve, la relève gagne du terrain (chaque nouvelle génération doit lutter pour faire sa place.) Au bout de quatre ou cinq ans, ils atteignent leur majorité et en général reviennent prendre positions dans leur quartier d’origine.
Au cours de ces années d’apprentissage, ils ont subi toutes sortes d’humiliations. Maintes fois ils se sont sentis rejetés ou méprisés.
Par défense ils ont cultivé une haine envers « les gens » égale à leur sentiment d’exclusion. Les méthodes employées pour subvenir à leurs besoins relèvent presque exclusivement de la délinquance et leurs acquis dans ce domaine sont à peu près les seuls qu’ils possèdent pour se faire valoir. Avec ce bagage, ils survivront encore quelques années, mais le rythme est dur à tenir. Il y a beaucoup de perte dans les rangs et des rotations du type « rue ; prison » ou « rue ; asile psychiatrique ».
Les « meilleurs » seront recrutés par de plus gros et quitteront le quartier.
Les autres survivants finiront par trouver un vrai job, certains même « réussiront » malgré leurs débuts difficiles.
Il faut parfois dix ans pour que le temps arrive à bout d’un groupe de jeunes rebelles et bizarrement, une fois repentis, ces derniers pourront se montrer  particulièrement intransigeants envers les jeunes qui n’observent pas les règles.
Ceux qui sont passé par là prônent le cadrage rigide des récalcitrants.
Ils savent de quoi ils parlent et affirment en fait aujourd’hui ce qu’il leur a manqué hier. C’est l’absence d’encadrement adéquat qui mène un ado sur les voies douteuses de la délinquance, le fait d’évoluer hors cadre.
Si l’on ajoute au tableau la réelle difficulté que rencontrent les jeunes pourtant munis d’un diplôme pour décrocher un premier job, le contexte a de quoi désespérer !
On voudrait l’oublier, mais le manque d’emploi constitue l’autre priorité sur laquelle notre société ne sait plus avancer. Les chiffres du chômage ne font plus l’actualité mais la précarité n’a pas disparu pour autant.

L’expression « violence urbaine » désigne en fait aussi une violence sociale liée aux rapports sociaux d’exclusion, l’absence de cadre d’expression approprié à cette violence sociale participe de sa non reconnaissance en tant que telle. La dite « violence urbaine » intervient dans un contexte d’accroissement de la précarité et de l’inégalité.
A l’expression d’une révolte qui pourrait être porteuse d’espoir, se substituent des comportements autodestructeurs qui attestent du désintérêt pour un ordre social considéré comme injuste et discriminatoire. D’ailleurs que signifie cette expression dans le langage média : il s’agit de comportements de groupe, auxquels les acteurs donnent le sens de manifestations légitimes de colère, dirigés contre un adversaire institutionnel ou privé. Elles seraient l’expression du sentiment d’exclusion à son apogée, un temps au cours duquel la révolte atteindrait une force émotionnelle telle, qu’elle s’imposerait au-delà des acteurs permanents du conflit ordinaire (bref, l’expression d’une violence à dimension sociale.)
Il serait judicieux de favoriser l’émergence d’acteurs associatifs, institutionnels et politiques capables de transformer cette violence sociale en actions politiques constructives.

Dans les années 70, la majorité des intellectuels considéraient l’insécurité comme un fantasme sécuritaire. Les années 90 auront marqué le retournement de cette opinion. Pourtant les phénomènes d’irruption de violence citadine ne sont pas nouveaux : Chicago en 1919 ; Harlem en 1935 ; Watts et Detroit en 1962 ; Los Angeles en 1992. Pour notre pays il y a les Minguettes en 1981 ; Vaulx en Velin 1990 ; Mantes la Jolie en 1991 ; l’ensemble des grandes villes françaises en 2005.
Au sujet des épisodes historiques de conflits entre la jeunesse et la société, il faut en mentionner deux où la presse a joué un rôle déterminant : celui « des Apaches » qui ce situe entre 1900 et 1914 et celui
 « des blousons noirs » qui c’est déroulé de 1959 à la fin des années 60.
Le terme « Apaches » qui pour la France coloniale de 1900 était très péjoratif (les pires sauvages) fut utilisé par la presse de l’époque pour stigmatiser la jeunesse issue des classes pauvres de la capitale. L’idée reviendrait à deux journalistes : Arthur Dupin et Victor Morris au cours de l’année 1902. La presse d’alors relatait quotidiennement les agissements des bandes des quartiers périphériques et des faubourg de Paris. Dans Le matin gaulois du 13 septembre 1907 on peut lire : « On ne sait plus aujourd’hui si l’Apache de création récente, a produit une certaine littérature, ou si une certaine littérature à produit l’Apache. » En 1907 on recense à Paris plus de 30 000 délinquants dont les deux tiers ont entre quatorze et vingt ans. Cette jeunesse organisée en bande de quartier : Belleville ; Charonne ; Ménilmontant ; Montmartre etc. pratique le vol ; l’escroquerie ; le raquette ; la prostitution. Certains n’hésitent pas à violer ou à tuer (malgré le fait qu’ils risquent les travaux forcés ou la guillotine.) Le petit journal du 20 octobre 1907 titre en première page : « l’Apache est la plaie de Paris, 30 000 Apaches contre 8000 sergents de ville ! » 

C’est lors de l’été 1959 que la presse fait naître la très médiatisée et marchandisée figure du Blousons noir. C’est dans le France-Soir du 27 juillet 59 que le terme est utilisé pour la première fois. La presse évoque l’existence de bandes qui se caractérisent par leur taille (on parle de groupes rivaux comptant près d’une centaine de jeunes) et par leur violence qui serait à la fois fulgurante et irrationnelle.  Le préfet de Paris, Maurice Papon, se demande avec d’autres s’il ne faudrait pas interdire le rock n’ roll...
Il est intéressant de constater que l’on incriminait  la jeunesse d’alors concernant des comportements qui sont encore aujourd’hui au cœur du débat médiatique. On reprochait d’abord aux Blousons noirs des affrontements violents entre bandes, à l’aide notamment de chaînes de vélo ou de barres de métal (pour des motifs territoriaux) mais aussi des descentes dans les centres-villes, dans les fêtes, les concerts, où ils saccageaient tout sur leur passage. On accusait également ces jeunes hommes de commettre des viols collectifs, c’est même la plus grosse partie de la criminalité juvénile traitée par la justice dans les années 1960.  On leur reprochait ensuite des vols d’usage immédiat et ostentatoire liés aux nouveaux biens de consommation (la voiture, la mobylette, etc.) On leur reprochait enfin des actes de vandalisme tournés déjà en bonne partie contre les institutions (école, bâtiments publics etc.) 
Depuis les années 60, l’urbanisation n’a cessée de se développé et avec, les phénomènes de conflits sociaux générationnel. En France, les banlieues sont plus souvent le théâtre de ce genre d’agitation. Déjà, au Moyen âge, les villes fortifiées étaient pensées comme le refoulement de la violence hors des murs. En opposition à la campagne alentour considérée comme un lieu de non droit, en proie à tous les pillages. D’ailleurs le terme banlieue désignait cet espace situé à une lieue de la ville où cessait de s’appliquer le ban (le pouvoir seigneurial.)


Le double piège face aux incivilités, vandalismes et autres actes violents ou destructeurs, est que si on se tait, on les cautionne lâchement. Et si on les dénonce, on les renforce en leur donnant de l’importance.
Lorsqu’on ébruite ce genre d’agissement, il faut s’attendre à voir le phénomène se multiplier. Les jeunes s’appliquent parfois à fournir une image d’eux-mêmes empruntée au registre médiatique le plus caricatural. Bien qu’ils contestent l’image que donnent d’eux les médias, quelque part flattés d’exister, ils finissent par y céder.
La violence ne concerne pas tous les jeunes, ils ne sont qu’une minorité dans les quartiers à vraiment y sacrifier. De même les endroits chauds ne sont pas si nombreux et assez localisés. Cela suffit pourtant à installer un climat trouble, où les gens ont le sentiment que les institutions ont rompu une part du contrat civique qui les unit aux citoyens. L’état détient légalement le monopole de la violence, il est le seul à avoir le droit d’en faire usage. En principe les citoyens ne sont pas autorisés à intervenir directement dans ce domaine, excepté dans le cas de la légitime défense qui sonne comme autodéfense et qui ouvre la porte à toutes les dérives. La libre vente d’armes aux Etats-Unis a abouti au fait que dans la plupart des grandes villes Américaines, il existe des quartiers où des gamins se tirent dessus !  
Agitations et désordres finissent toujours par profiter à ceux qui prônent répression et rigidité, les violences urbaines sont providentielles pour les partis de droite et d’extrême droite.
Pourtant rétablir la tranquillité publique ne saurait légitimer une réponse purement répressive. Alors tout le monde y va de sa recette et il faut admettre qu’à gauche comme à droite, la théorie a tendance à s’effondrer au moment de la mise en pratique.

Pour sortir la jeunesse désœuvrée de l’impasse comportemental, il faudrait à susciter une mobilisation d’envergure. Remédier à la situation que nous connaissons suppose que l’on s’occupe en priorité des permanents qui coalisent le pôle déviant des quartiers.
Il serait pratique de remettre l’affaire entre les mains de la police, mais je doute que cette dernière soit en mesure d’apporter une réponse adéquate à ces questions (sinon d’ailleurs le problème ne se poserait pas.)
Les forces de l’ordre d’une démocratie doivent rester démocrates et ne peuvent donc devenir aux yeux des citoyens un condensé de violence, d’injustice et d’arbitraire.
Pour raccorder ces jeunes et leur permettre d’évoluer, il faudrait en fait trouver le champ d’expression qui leur correspond. Ces derniers n’ont pu grimper à l’échelle scolaire mais disposent pourtant de qualités.
C’est par l’innovation dans le domaine des activités de groupe qu’un démarrage serait possible. C’est d’ailleurs ce qui a fait toute l’originalité du mouvement Hip hop. Les activités d’expression du corps peuvent sortir du cadre strictement sportif et ouvrir d’autres voies en empruntant au théâtre, à la musique et à la danse.
Les sports sont très axés sur le principe gagnant/perdant.
Quoi qu’en dise le baron de Coubertin, dans le sport de compétition, la place d’un second ne ressemble que de très loin à celle d’un premier.
Les sports d’équipes ont des objectifs qui relèvent du comportement territorial, une transposition du combat pour le sol. Les intrusions organisées sur le territoire adverse mènent à la victoire, quoi de plus territorial. Ce sont les règles et l’arbitrage qui sociabilisent le joueur, le jeu en lui même reste grégaire.
Enfin, le sport est basé sur un clivage sexiste, le fonctionnement : équipe de garçons et équipe de filles est de rigueur. La mixité à l’intérieur de l’équipe est peu ou pas admise (surtout quand il s’agit de compétition.)
Et cette situation semble vouloir se maintenir malgré une marée de mixité dans les autres domaines. Les « mauvais garçons » ont pourtant grand besoin d’être associés aux filles.


Il faut placer le cadre sur un autre décor, l’effet d’arrivée de nouvelles activités d’expression du corps pourrait fournir à la fois l’exutoire idéal aux rancœurs provenant du sentiment d’échec et d’exclusion (se défouler, évacuer) l’occasion d’exister autrement que par des actes délinquants (se socialiser) la possibilité d’intégrer un cadre (respecter des règles.)
Les activités d’expression corporelles peuvent amener les jeunes en échec à évoluer, à se structurer et à dégager de nouvelles perspectives.
Mais comment rendre ces activités attractives à leurs yeux autrement qu’avec des objectifs tel que
« être le champion, la star, le vainqueur ! » Comment rendre cette activité crédible si elle ne peut représenter un espoir de réussite sociale ?
C’est pourtant bien par ce biais qu’ils pourraient obtenir leurs billets d’entrée dans le monde, non pas en tant que star, mais comme simple citoyen.
Il faudrait pour cela sortir du système élitiste, du culte de la personnalité et de la réussite individuelle, de la tension pour un statut dominant, n’y a-t-il pas d’autres dynamiques que celles qui s’organisent autour d’un vainqueur, d’un chef, d’un puissant ?
La dynamique du simple citoyen doit s’inscrire ailleurs pour prospérer, avec d’autres motivations et d’autres objectifs.
La jeunesse a besoin de s’identifier à de nouvelles images, d’où l’importance d’ouvrir de nouveaux horizons.
Mais en matière d’innovation, les théoriciens ne sont pas les meneurs, ceux qui ont acquis leurs connaissances de manière didactique ont bien du mal à sortir des sentiers battus. Les originaux qui ouvrent les pistes sont plutôt des aventuriers non formatés et non diplômés.
D’ailleurs, qui se risquerait à encadrer deux groupes d’âges : mineur/majeur, en rupture avec le système éducatif, n’ayant ni qualification ni expérience professionnelle, enfermés dans un périmètre restreint dont-ils ont la garde (le quartier) et fonctionnant avec des normes inversées par rapport à celles de la société (le bien est mal / le mal est bien.) Sachant aussi que les conflits et les affrontements sont nécessaires à la survie du groupe. Qui se risquerait dans une telle entreprise, sinon un homme au cursus atypique ?


Concernant les phénomènes de jeunesse évoqués, la société est loin de tomber d’accord et les idées en présence ne laissent rien présager de bon.
Il y a d’abord l’idée de retour « de la classe dangereuse » ou phobie du populaire (mauvaise éducation, oisiveté, carence culturelle et démission parentale) cette vision alimente le discours politique sécuritaire.
C’est pourtant précisément par l’aptitude à transmettre sa culture qu’une société donne le signe indiscutable de culture. L’éducation de
« la classe dangereuse » incombe à la société.
Puis il y a le spectre de l’involution et de la barbarie : le discours sur la décadence et la perversion des valeurs de la société est cher à la droite conservatrice et à l’extrême droite. Cette vision est fondée sur de vieux stéréotypes dualistes qui opposent la civilisation à la barbarie ; la morale au corps ; la culture à la nature ; l’ange à la bête etc. cette explication n’en est pas une, si les comportements changent, c’est que les normes qui les régissent ont changé ainsi que les relations sociales qui les sous-tendent. 
Enfin, il y a l’idée de « conflits de culture » : le multiculturalisme est l’une des caractéristiques majeures de la modernité, les sociétés pluriculturelles se caractérisent au contraire par une forte homogénéité identitaire (encore une fois les USA,) les jeunes issus de l’immigration ne sont nullement enfermés dans les normes culturelles de leurs parents, ils appartiennent plus à la culture locale qu’à celle de leurs ancêtres.
Ce qui pose problème, ce n’est pas l’intégration culturelle des minorités d’origine étrangère, mais plutôt leur éventuel non intégration sociale.
Si tous les chemins mènent aux relations sociales et à ses effets normatifs, alors le phénomène actuel de violence doit prendre racine dans l’absence de sentiment d’appartenance sociale. Les jeunes des années 2000 n’ont pas été éduqués politiquement comme ceux des années 60 ; 70 ou 80. La notion de classe sociale ne peut avoir la même signification pour eux. Le sentiment d’appartenance à une classe provient des rapports établis entre les individus dans le monde du travail, or les jeunes des années 2000 sont nombreux à évoluer en marge de ce monde ou rencontrent des difficultés à s’y maintenir. Une large part de la jeunesse actuelle semble trop marginalisée et décalée pour arriver à structurer un nouveau mouvement social. La violence exprimée met justement en évidence l’absence de conscience sociale des protagonistes. Enfin, un mouvement social ne parvient à ses fins qu’en constituant une organisation durable et chacun sait que la division règne entre les groupes de quartiers (du moins tant qu’aucun élément fédérateur ne permettra leur cohésion.)
Le sentiment de non appartenance sociale, la perméabilité aux stimulations incessante de la société de consommation ainsi qu’à son idéologie ambiante, font que cette violence tourne en boucle sans trouver d’issue constructive.

Il n’existe pas de thèse « scientifique » établissant pourquoi un jeune adopte ou non un comportement déviant, l’expérience du terrain montre qu’il n’existe pas un profil du futur délinquant et les raisons qui poussent un jeune à endosser le rôle de bouc émissaire restent souvent énigmatiques.  
Dans les années 60, les bandes d’ados en conflit avec la société refusaient momentanément l’idée de suivre le destin de leurs parents. Les emplois monotones et répétitifs de la société industrielle ne représentaient pas pour la jeunesse de l’époque un avenir enviable. Une vie entière consacrée à travailler pour un patron ou une administration était bonne pour les imbéciles.
Déjà « le banditisme idéalisé » représentait un modèle de réussite.
Ces chemins de traverses délictueux ouverts sur la route difficile du statut social méritocratique étaient promis à un « bel avenir ».
Pourtant la situation économique n’avait rien de dramatique dans ces années là. Cela tend à démontrer qu’en amont des difficultés d’insertion liées au contexte social aggravé que nous connaissons aujourd’hui, existe un problème d’intégration des garçons dans la société moderne.
Malgré tout ce qui existe pour y palier, persiste pour beaucoup d’entre eux un sérieux manque à gagner. Peut-être parce que la civilisation est plus féminine que masculine dans son fonctionnement et que les modèles masculins adéquats manquent plus aux garçons.
Jusqu'à présent, les ados filles ont relativement échappée à ces difficultés d’intégration. Mais depuis le début des années 2000 un épiphénomène « groupe de filles » très calqué sur le modèle « groupe de garçons » c’est développé. En quelques années « la caillera » s’est imposée comme figure dans le décor urbain et il semble que le modèle fasse école.

Les actes violents communément regroupés sous l’appellation « violence urbaine » relèvent en fait de causes et raisons diverses. Certains actes peuvent indiquer une recherche de mises à l’épreuve de la part des acteurs, visant à les extirper du monde des femmes et des enfants et donc à prouver « qu’ils sont des hommes. »
D’autres actes peuvent exprimer une révolte contre l’ordre social provoqué par un sentiment d’exclusion exacerbé, ces actes peuvent intervenir suite à une série d’incidents avec les forces de l’ordre, cette violence s’exprime généralement sous le coup de l’émotion.
Il y a aussi des agissements inspirés par des normes contraires à celles de la société : pirates ; bandits ; hors la loi. La violence est alors un outil au service de desseins crapuleux.
Enfin, les conflits inter quartiers peuvent revêtir des allures de guerre territoriale ou de sacrifice, lorsque par exemple un groupe s’acharne sur une victime du camp adverse.
Ce genre d’agissement offre malheureusement à la société le triste spectacle d’un retour à la cruauté.
Invariablement, l’excès de violence pointe une urgence qu’il faudrait arriver à prendre en compte : L’urgence d’accompagner le passage à l’âge adulte de certains garçons. L’urgence de permettre l’insertion sociale des nombreux déscolarisés qui échouent dans les quartiers. Ou encore l’urgence de promouvoir une idéologie humaniste et solidaire qui puisse contrebalancer l’individualisme ambiant et le culte de la réussite individuelle. BT